Lawond

Artist/e : Eddy Firmin

Commissaire / curator : Tamar Tembeck

OBORO, 16/09/2023 – 14/10/2023

Photos: Mike Patten

English version follows

Opuscule de Tamar Tembeck (télécharger le PDF):

Entrons dans la ronde

Nos histoires sont écrites dans et sur nos corps. Nos identités sont indissociables de nos expériences corporelles, lesquelles sont à leur tour façonnées par les héritages génétiques, culturels et épigénétiques que nous livrons à nouveau au monde, le temps de notre existence.

Dans le travail de l’artiste montréalais d’origine guadeloupéenne Eddy Firmin, la question de l’être-au-corps est foncièrement politique. Le corps est un lieu de contestation, mais aussi de transformation potentielle. C’est autant un siège de sagesse que d’impuissance, une sentence tout comme une source de libération. Être au monde s’avère une constante négociation entre différents êtres-aux-corps, avec leurs bagages et leurs expériences propres, et leurs perspectives nécessairement toujours partielles. Dans une telle situation, quelles sont les conditions qui peuvent donner lieu à de véritables rencontres ?

L’exposition Lawond invite le public à se pencher sur cette question. Le « lawond » désigne le cercle des participants au Gwoka de Guadeloupe, une pratique englobant la danse, le chant, le conte et la musique, qui est associée à une forme de résistance aux violences coloniales. Sous le principe de l’improvisation, n’importe qui dans l’assistance peut se joindre à cette ronde, et y patager son expérience avec un récit dansé et chanté.

À OBORO, Lawond se déploie comme un dispositif de partage, de rencontre et de transformation dans une démarche qui se veut foncièrement décoloniale. Réunissant des objets sculpturaux représentant l’artiste et des membres de sa famille, ainsi que des images détournant des stéréotypes issus de la culture visuelle anti-noire, Lawond propose un espace-temps pour métaboliser nos héritages coloniaux.

Le public a le choix de se poser dans l’installation Tenir salon, par exemple, pour discuter et y consulter des ouvrages de la bibliothèque tout en dégustant un café ou un chocolat, des consommations directement liées au commerce triangulaire. D’autres peuvent effectuer le dépôt d’objets racistes ou xénophobes issus de leurs propres collections, ou livrer le récit d’une histoire vécue dans l’installation participative que l’artiste et moi avons informellement baptisée « le confessionnal ». Ces offrandes du public se font de manière entièrement anonyme et volontaire ; l’idée étant d’ouvrir une autre issue possible pour ces héritages que nous portons toustes, mais dont nous ne savons pas quoi faire, ou que nous ne souhaitons plus conserver. Comment transformer ces histoires sans les oublier ou les nier ? Que faire de ces héritages non désirés ? À travers cette installation, et l’ensemble de son exposition, Firmin offre une issue potentiellement cathartique pour ces legs compliqués.

À défaut de lieux publics pour engager un dialogue soutenu sur le sujet de la «véritable décolonisation» – celle « des savoirs et des pratiques » comme l’a décrit la politologue féministe Françoise Vergès – Firmin propose une forme de rite laïque à travers le dispositif de son exposition. Les éléments qui peuplent Lawond relèvent de son expérience en tant qu’artiste afrodescendant : autoportraits, livres et objets provenant de sa collection personnelle, sculptures reproduisant fidèlement des membres de son corps ou de ceux de sa famille. Mais à travers son récit spécifique,
Firmin ouvre la porte vers la possibilité d’une reconnaissance et d’une familiarité élargies.

Sans nier la particularité de chacun de nos parcours et des luttes qui nous appartiennent individuellement ou collectivement, qui ne peut se retrouver dans ce questionnement envers nos héritages corporels et culturels ? Qui, parmi nous, ne porte pas un legs dont il ou elle voudrait se défaire, mais qui, invariablement, l’a aussi construit ? Si l’on remonte assez loin, qui, parmi nous, n’est pas à la fois descendant de tortionnaires et de victimes ? Et dans quelle mesure de certitude pouvons-nous affirmer aujourd’hui que nous ne briserions pas nos propres codes moraux s’il était question de vie ou de mort ? Quelle est notre réelle part d’agentivité en déterminant les directions envers lesquelles orienter notre agir moral et politique ?

Bien que nos corps portent en eux la mémoire de ce qui a été, ils réservent également le potentiel de ce qui peut advenir. Lawond nous invite à faire un pas en nous engageant volontairement dans cette ronde, et d’y avancer avec un œil critique, mais aussi rempli de compassion. Certes, nous pourrions observer Lawond de manière passive, mais ce serait passer à côté du propos de l’artiste. Ce serait refuser de prendre part à ce rite auquel Firmin nous a conviés, où chacun d’entre nous peut trouver sa place, pourvu que – en suivant les règles fondamentales des pratiques d’improvisation – nous disions «oui et» à sa proposition.

Références:

Cf. Eddy Firmin (2019). Méthode Bossale : Pour un imaginaire et une pratique visuelle
décolonisée. Thèse de doctorat, Université du Québec à Montréal.

Françoise Vergès (2021 [2017]). Le ventre des femmes : capitalisme, racialisation, féminisme.
Albin Michel, p. 86.

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Exhibition essay by Tamar Tembeck, translated by Oana Avasilichioaei (download PDF):

Let’s Join the Circle

Our histories are written in and on our bodies. Our identities are inseparable from our physical experiences, which are in turn shaped by genetic, cultural, and epigenetic heritages that we impart to the world again during our lifetimes.

In the work of Eddy Firmin, a Montreal artist originally from Guadeloupe, the question of embodiment is profoundly political. The body is a locus of contestation, but also of potential transformation. It is a site of both wisdom and powerlessness, a sentence or a source of liberation. Being in the world proves to be a constant negotiation between different beings-in-bodies, with their own baggage and experience, and their perspectives that are always necessarily partial. In such circumstances, what are the conditions that can lead to true encounters between beings?

The exhibition Lawond invites the public to consider this question. “Lawond” refers to a circle of participants in Gwoka, a Guadeloupean practice that combines dance, song, storytelling and music, and is associated to a form of resistance to colonial violence. In keeping with the principle of improvisation, anyone in the audience can join the circle and share their experience with a sung or danced account.

At OBORO, Lawond unfolds as a mechanism that allows for sharing, for coming together and for transformation, in an approach that is fundamentally decolonial. Assembling sculptural objects that represent the artist and members of his family, as well as images subverting stereotypes that stem from anti-Black visual culture, Lawond offers a space and time to metabolize our colonial heritages.

Visitors can choose to linger in the installation Tenir salon, for example, in order to engage in discussion and consult the works in the bookcase, while enjoying a coffee or some chocolate, products directly connected to the triangular trade. Others can drop off racist or xenophobic objects that come from their own collections, or deliver a personal account in another participatory installation, which the artist and myself have informally baptized “the confessional.” The public’s offerings can be made in an entirely anonymous and voluntary manner. The idea is to create other possible outlets for the heritages we all possess, but don’t know what to do with or no longer wish to keep. How can we transform such histories without forgetting or denying them? What can we do with these unwanted heritages? Through this installation and the exhibition overall, Firmin offers a potentially cathartic outlet for these complicated legacies.

In the absence of public spaces capable of sustaining an ongoing dialogue on the subject of “a veritable decolonization of knowledge and practices,” as described by the feminist political scientist Françoise Vergès, Firmin offers a form of secular ritual through the framework of his exhibition. The elements populating Lawond come from his experience as an Afro-descendant artist: self-portraits, books and objects from his personal collection, and sculptures that faithfully reproduce parts of his body or the bodies of his family. Yet through his specific narrative, Firmin opens the door to the possibility of a broader recognition and familiarity.

Without denying the particularity of our respective paths and the struggles in which we individually or collectively take part, who among us cannot relate to this questioning of our bodily and cultural heritages? Who among us does not bear a legacy of which we would like to rid ourselves, but which has also inevitably formed us? If we go back far enough, who among us is not a descendant of both torturers and victims? And with what measure of certainty can we claim, today, that we wouldn’t break our own moral codes if it was a matter of life or death? How much agency do we really have in determining the direction of our moral and political actions?

Although our bodies bear the memory of what has come to pass, they also hold the potential of what may happen in the future. Lawond invites us to take a step by willingly joining the circle, and to advance with an eye that is both critical and full of compassion. We could certainly see Lawond in a passive manner, but this would risk missing the artist’s point. It would mean refusing to take part in the ritual to which Firmin has invited us, where each one of us can find a place, as long as—in keeping with the fundamental rules of improvisational practices—we say “yes, and” to his proposition.

References:

See Eddy Firmin, “Méthode Bossale : Pour un imaginaire et une pratique visuelle décolonisée” (PhD diss., Université du Québec à Montréal, 2019).

Françoise Vergès, The Wombs of Women: Race, Capital, Feminism, tr. Kaiama L. Glover (Durham: Duke University Press, 2020), 68.